
Dès la première page du roman, David Badenbauer dresse le bilan de ses cinquante-six années de vie. Il est devenu orphelin très jeune, mais la mort de ses parents juifs orthodoxes ne lui pèse guère, car il n’a jamais reçu d’amour parental ni de marques de tendresse. On pourrait se demander si cela explique son athéisme : est-ce par conviction ou par simple esprit de contradiction envers ses parents ?
Malgré un début de vie cabossé, David réussit des études de médecine, mais celles-ci ne font qu’augmenter sa solitude. Pour y remédier, il s’inscrit à un groupe d’initiation à la culture musicale, encadré par des Juifs non pratiquants. La rencontre avec Déborah, une jeune fille participant activement aux séances du centre, ne se fait pas attendre. Leur attirance mutuelle finit en mariage au grand désespoir du père de cette dernière, le psychologue Hertzel. À première vue, l’antagonisme entre les deux personnages masculins, David Badenbauer et Hertzel, met en évidence deux conceptions de la vie : l’une scientifique et l’autre guidée par la croyance.
L’arrivée d’un éditeur allemand mettra fin à leur mésentente. En effet, Blum cherche à publier un livre et Hertzel devient alors le meilleur agent de son haïssable gendre, bien évidemment rémunéré grassement pour ses services. Ainsi, profitant de son expérience professionnelle, David se retrouve à écrire un livre de développement personnel déguisé en ouvrage de vulgarisation scientifique.
Le pari devrait être fructueux, car, comme le dit l’éditeur Blum à propos des lecteurs « ce que cherchent les gens, ce sont des modèles qui coiffent leur petite personne d’une auréole transcendante ». À ce moment de l’histoire, l’écrivain uruguayen, Pablo Casacuberta, profite du jeu narratif pour se moquer gentiment des livres à succès : ceux qui nous promettent de tout savoir sur un sujet ou ceux qui nous promettent une vie heureuse « pleine de sens » grâce à leurs formules de vie.
Les personnages de Pablo Casacuberta, telles de simples marionnettes, doivent montrer dans leur chair les conséquences d’hypothèses avancées par l’auteur. Forcé par les circonstances, David Badenbauer entame une espèce de psychanalyse afin de trouver des anecdotes pour étoffer son livre. Ainsi, il remet au jour ses souvenirs, notamment sa relation avec sa femme et la mémoire de ses parents disparus. Nous revenons au moment de l’accident, non pas pour en connaître les détails, mais pour observer ce qui s’est passé dans la tête de David adolescent.
En effet, David se retrouve accablé lorsque les malheurs lui tombent dessus, mais commence à en prendre conscience lors de l’arrivée de son fils à l’adolescence et surtout grâce à l’obligation d’écrire, d’autant que Blum a un nouveau grand projet de livre pour lui !
Une vie pleine de sens de Pablo Casacuberta aborde de manière simple la question de l’élaboration de la pensée, de sa relation avec l’entourage et de l’importance de la liberté dans nos décisions. Et tout ça avec un humour pince-sans-rire.

Une vie pleine de sens de Pablo Casacuberta
Traduit de l’espagnol (Uruguay) par François Gaudry
Métailié, 2024, 336 p. [Una vida llena de propósito, Estuario editora, 2021]