La trilogie du signe de Luis Miguel Hermoza ⎮ L'autre Amérique

Le 7 octobre, Francisco Izquierdo-Quea a rencontré Luis Miguel Hermoza pour présenter son livre, La trilogie du signe. Francisco a souhaité partager la réflexion approfondie que le livre de Luis Miguel a suscitée à sa lecture.

La trilogie du signe de Luis Miguel Hermoza

Parler de Luis Miguel Hermoza, ce n’est pas seulement parler d’un écrivain, mais aussi d’un activiste et d’un agitateur culturel. Fondateur de la revue La Siega au début des années 2000, cette publication a établi une ligne éditoriale totalement alternative et contestataire face à l’establishment littéraire, tout en donnant une tribune à une série de nouvelles voix en poésie et en narration. Luis Miguel est également le fondateur du Cornélisme, une idéologie utopique et fataliste concernant l’avenir de l’espèce humaine qui cherche sa propre disparition.

L’altération du futur

La trilogie du signe – qui comprend les livres Pueblo joven, II et Tan igual pero distinto – peut être considérée comme le compendium d’une poétique de l’auteur, mais surtout de son discours et de son engagement politique envers la littérature et sa réalité. Des éléments tels que la migration, la nature, la postmodernité, le désir, le territoire, l’art, le désamour, le métier d’écrivain, l’aliénation font partie de la ligne directrice de cette publication.

C’est le discours utopique de Luis Miguel qui marque le cap conceptuel de la modernité. Depuis que le terme a été forgé par César Moro, les utopies sont des discours qui articulent les effets de la révolution industrielle et capitaliste autour de notions telles que le progrès et le bien-être. L’utopie installe un espace de découverte dans lequel il est possible de planifier et de penser l’avenir en dépassement le présent.

Cette nouvelle perception du changement historique et de la réalité elle-même permet l’émergence d’un type de mémoire capable d’aborder à la fois le passé et d’ouvrir également la possibilité d’élaborer un idéal possible et réalisable pour l’avenir. Le nœud du discours utopique englobe la projection d’un avenir fictionnel : une caractéristique opérationnelle que partagent les discours utopiques et dystopiques. Ils montrent l’état actuel de manière reconnaissable mais qui, projeté vers l’avenir, ne nous semble plus tout à fait « familier » car il se révèle dans toute son étendue : ce qui est exposé sur le plan du désir, de l’aspiration ou de la projection imaginaire atteint sa concrétisation tangible. En ce sens, la trilogie d’Hermoza soutient que l’utopie et la dystopie ne sont pas des notions tout à fait diamétralement opposées.

Et la dimension dystopique

L’apparition du discours dystopique est liée aux principaux changements historiques, sociaux et culturels du XXe siècle. La conception du XIXe siècle du progrès entre en crise dans les premières années du siècle et s’accentue avec les guerres mondiales. 1984 d’Orwell et Le meilleur des mondes de Huxley mettent en garde contre les menaces totalitaires qui pèsent sur l’humanité : le premier est une dystopie répressive qui annule la subjectivité tandis que dans le second, l’hédonisme et l’individualisme sont représentés comme des formes de contrôle social.

En opposition aux dystopies « classiques », l’auteur oppose un autre type de sensibilité dystopique entre économie et culture, qui affecte les pays latino-américains dans une dimension différente de celle des autres pays occidentaux. L’émergence de cette sensibilité dystopique plus récente ne fait plus de distinction entre le désir et la réalité, car cette distinction est tout simplement devenue plus floue dans la seconde moitié du XXe siècle.

Au Pérou, par exemple, l’historien Jorge Basadre parle de la « promesse républicaine », dans le sens où la cause indépendantiste était basée sur les idéaux utopiques d’une société meilleure, intégrale et pleine. Ce geste n’attaquait pas la raison coloniale mais finissait par reproduire la projection utopique instaurée par les colonisateurs. On a fini par assumer le projet républicain en termes de dichotomie entre civilisation et barbarie. L’aspect utopique, promu par les élites républicaines et créoles (héritières directes des élites coloniales), provient de l’impulsion civilisatrice à l’européenne.

La trilogie du signe est une réflexion intense et rigoureuse sur les changements vertigineux que la ville, la nature et l’homme ont connus. Les contradictions ont déjà été mises en évidence par Luis Miguel, mais elles atteignent leur paroxysme dans la segmentation de ses personnages en fonction de leur proximité ou de leur distance, ce qui marque les différences sociales, de comportement et de rang de ses personnages.

La caractérisation de la précarité est également explicite et rend compte de l’échec de la modernisation de la ville ; par conséquent, de celui de l’utopie républicaine du XIXe siècle.

Alimenté par la vision critique de la ville et du pays, qui se manifeste clairement pendant les années d’écriture, Hermoza a l’idée d’une ville effrayante dont la réalité marginale est consciemment ignorée par l’élite dominante. Pour le lecteur, la trilogie opère dans des territoires connaissables mais, en même temps, le fantomatique est la représentation sur laquelle repose tout discours. En ce sens, ce livre recourt à la stratégie des croisements temporels entre le passé du récit et son présent.

Cette extrapolation rend réelle et visible l’idée du progrès fondée sur le monétaire : les transactions commerciales avant les idéologies. Selon Luis Miguel, la dernière utopie n’est ni l’expérience communiste ni socialiste mais plutôt le paradis du capitalisme triomphant sur les structures ankylosées de l’État-nation.

Une vision désespérée

Dans La trilogie du signe, on trouve une vision désespérée de l’Histoire. La nature de son discours nous conduit à une relecture du passé récent, en relation avec une modernité périphérique. En raison des différents niveaux, il est frappant de voir comment Hermoza utilise ce texte pour aborder divers faits qui ont marqué la sensibilité contemporaine. Dans le cas péruvien, l’auteur souligne la migration et l’état de la violence politique à l’époque comme une sorte de lutte entre deux extrêmes : le capitalisme avancé et le fondamentalisme.

Il est évident que La trilogie du signe rompt avec la narration réaliste de son époque, mais nous pensons que l’on n’a pas beaucoup insisté sur la relation qu’elle établit avec d’autres textes littéraires. Les lecteurs pourront trouver dans ses pages une ville qui se dissout entre les différentes tentatives de modernisation et les descriptions hostiles d’un environnement déshumanisé. Ici, nous percevons son enracinement dystopique par rapport à la série de pouvoirs dominants de son époque, qui sont essentiellement les mêmes aujourd’hui. C’est pourquoi le sentiment de désamour et de déracinement imprègne ses pages dès le début. Nous reconnaissons les lieux, les villes mais cela a aussi exacerbé leurs problèmes.

Il est important de lire La trilogie du signe car elle ouvre de nouveaux défis. Surtout parce qu’elle rend possible le débat d’idées qui est l’une des intentions de la poétique de Luis Miguel Hermoza. La confrontation au lecteur dans sa véritable dimension car c’est le lecteur qui fait finalement l’histoire de l’avenir.