Dernière fresque du romancier et essayiste mexicain Daniel Saldaña París, La danse et l’incendie, traduite dans la plus délicate transparence par François Gaudry, est un récit à trois voix, sobrement écrit et rythmé par la douceur de l’ironie et du spleen.
Mi-réaliste, mi-dantesque, l’histoire fait converger les souvenirs, les fantasmes et les illusions perdues d’un trio d’amis d’adolescence : Natalia, Erre et Lapin. Éloignés par les aléas de l’âge adulte, ils nous livrent à tour de rôle le récit d’une période récente, marquée par leurs retrouvailles et par l’irruption d’un étrange phénomène de manie dansante à Cuernavaca, où se noue leur amitié de jeunesse. Devenue méconnaissable, frappée par le changement climatique et par l’urbanisation à outrance, la surnommée « ville du printemps éternel » est désormais en proie à la sécheresse et aux incendies. De son cadre autrefois verdoyant, il ne reste plus qu’un décor terni par les nuages de cendres. La menace s’abat sur la santé de la population et la ville est sur le point de devenir l’épicentre d’une rare épidémie de chorée.
À l’image de ce paysage désolant, la vie des trois amis bascule progressivement vers un point de non-retour. Aux promesses de jeunesse s’est substituée la monotonie de la déception, l’ennui de la routine. D’un ton affectueux et caustique, l’auteur dote les trois trentenaires d’un esprit qui n’est pas totalement dépourvu de lucidité. En toile de fond, une maille de narrations collectives et de mythes personnels traverse l’expérience de chacun d’entre eux. Le récit du présent fait souvent résonner le passé comme pour conjurer leur déchéance.
Natalia prépare une nouvelle chorégraphie. Attachée à l’idée de faire danser des corps avec une histoire, elle réunit une troupe de danseurs amateurs autour d’une performance inédite, intitulée Le Grand Bruit. Son approche dissidente de la danse la pousse à s’écarter du très officiel jardin Borda, où sa pièce est programmée. En rébellion vis-à-vis des conventions de la culture locale, son œuvre est vouée à se déployer spontanément dans l’espace urbain. Sait-elle jusqu’où sa danse perturbatrice peut mener ?
Au cours des semaines de préparation de sa performance, Erre, son ex-petit ami, fait sa réapparition dans la ville. Divorcé, sans le sou, la tête et le corps malade, il est devenu accro aux antidouleurs. Sans éprouver plus aucun désir, peut-être à force de tourner le dos à ses véritables pulsions, il observe la ville défigurée par les tours d’habitations et les centres commerciaux, et tente de s’y retrouver en s’accrochant à des bribes de souvenirs.
Plus léger que son ami, Lapin, vit nonchalamment avec son père aveugle. Éternel adolescent, il cultive une forme d’esthétisme qui s’exprime par ses choix musicaux underground et une certaine affection pour les théories conspirationnistes. Il est le seul à soupçonner la danse improvisée de Natalia comme étant le déclencheur de la nouvelle épidémie qui s’avère être fatale. Attentif aux rumeurs de son entourage, il rend compte de la contagion avec naturalisme, bien qu’il y laisse, après tout, une partie de lui-même.

La danse et l’incendie de Daniel Saldaña París
Traduit de l’espagnol (Mexique) par François Gaudry
Métailié, 2025, 224 p. [El baile y el incendio, Anagrama, 2021]

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