
Les éditions L’oncle d’Amérique viennent de faire paraître deux recueils exceptionnels pour tous les amoureux des grandes aventures poétiques. Il s’agit de la poésie écrite en français par deux grands poètes hispano-américains : Horizon carré et autres poèmes français du Chilien Vicente Huidobro (1893-1948), publié pour la première fois à Paris en 1918, et Orogénie et autres poèmes français de l’Équatorien Alfredo Gangotena (1904-1944), publié par les Éditions de la NRF en 1928. Les deux volumes, établis avec soin et érudition par Émilien Sernier qui retrace leurs parcours dans deux richissimes préfaces, sont suivis de bibliographies conséquentes.
Sans être francophones d’origine, en accord avec l’extraordinaire bouillonnement des premières années du siècle, tous deux écrivirent une partie de leur œuvre en français. L’un et l’autre furent accueillis, salués et reconnus par leurs pairs français, tels que Guillaume Apollinaire, Pierre Reverdy, Jules Supervielle, Henri Michaux, pour ne citer qu’eux. Si le destin de chacun, cependant, a été bien différent, ils partagent le fait d’avoir été oubliés en France et leurs ouvrages écrits en français, méconnus pour ne pas dire méprisés. L’oncle d’Amérique vient réparer nombre d’oublis. Deux volumes de L’oncle d’Amérique qui feront date.
Vicente Huidobro s’installe à Paris en 1917 et, très vite, entre en contact avec les cercles littéraires parisiens, fondant avec Reverdy la revue « Nord-Sud » ; il s’auto-traduit, mais il écrit aussi en français, sans jamais négliger sa création en espagnol. Avec le temps, il s’imposera comme un pilier de l’avant-garde latino-américaine, un géant, un ouvreur d’horizons ; rappelons son poème « Altazor », un des grands sommets de notre poésie.
En rassemblant pour la première fois Horizon carré et autres poèmes français, L’oncle d’Amérique remet à l’honneur ce poète essentiel et permet aux lecteurs de découvrir une œuvre qui est à la hauteur de celle des grands auteurs de son époque et au premier rang des poètes translingues. Sa poésie inventive, toujours en mouvement, ne cesse de nous surprendre et nous régaler.
Alfredo Gangotena, dont l’œuvre, écrite en français, est bien plus confidentielle et exigeante, s’inscrit dans la plus audacieuse des modernités. Arrivé à Paris en 1920, à l’âge de 17 ans, pour faire des études, très vite il adopte le français pour s’exprimer. C’est lui qui invita Henri Michaux dans son pays dont celui-ci s’inspirera pour son Ecuador, dédicacé au poète équatorien. Après son retour dans les Andes, d’où il sera ostracisé, et malgré une reconnaissance des cercles littéraires européens et l’amitié indéfectible de Jules Supervielle, il sombrera dans l’oubli.
Ce n’est que depuis une trentaine d’années que l’on commence à s’intéresser et à comprendre la magnitude de son œuvre, composée aussi bien de poèmes en français qu’en espagnol, ce qui la rend si singulière et en quelque sorte inclassable. Poète doublement « ex-patrié » entre le français et l’espagnol, la seule véritable patrie de Gangotena, c’est bien l’écriture. Cette édition d’Orogénie…, accompagnée de nombreux poèmes retrouvés, le rétablit dans une « histoire et géographie littéraires élargies » et nous permet surtout de le lire.

Horizon carré et autres poèmes français de Vicente Huidobro
L’oncle d’Amérique, 2025, 254 p.

Orogénie et autres poèmes français de Alfredo Gangotena
L’oncle d’Amérique, 2025, 272 p.