
Gabriela Wiener (Lima, 1975) est écrivaine, poétesse et journaliste culturelle. Elle réside à Madrid et est l’auteure d’une vaste production littéraire, parmi lesquelles Sexografías, Nueve lunas, Llamada perdida, Dicen de mí et le roman Huaco retrato, traduit en français par les éditions Métailié. En poésie, elle a publié Ejercicios para el endurecimiento del espíritu (2014) et Una pequeña fiesta llamada eternidad (2023), tous deux publiés aux éditions La Bella Varsovia. Ses œuvres ont été traduites en plusieurs langues et elle a également contribué à des anthologies internationales. Elle a travaillé comme journaliste pour des médias tels qu’Etiqueta Negra, Marie Claire ou The New York Times en espagnol et collabore avec le journal Público. Au cours de ces dernières années, elle s’est également consacrée à la création de propositions scéniques. Dans cet article, nous nous concentrerons sur son œuvre poétique.
Dans la poésie de Gabriela Wiener, l’intimité est un champ de bataille. Ejercicios para el endurecimiento del espíritu et Una pequeña fiesta llamada eternidad agissent comme autant d’exercices de résistance affective, politique, créative et migratoire. L’auteure y façonne une voix qui se livre sans attendre aucune permission, qui s’expose sans chercher de rédemption.
Wiener écrit à partir d’un corps racialisé, métissé, sudaka1. « Je suis une mère immigrée / j’ai le regard perdu / les nerfs à fleur de peau / et les reins brisés », écrit-elle. Cet état n’est d’ailleurs pas relégué en arrière-plan, il s’agit de la substance même de son écriture. Sa poésie naît d’une extranéité qui est aussi une forme de lucidité : les dissidences raciales, de classe et sexuelles, ainsi que la remise en question des impositions sociales telles que la famille ou l’amour. Ses vers reconfigurent aussi bien les aspects personnels que politiques.
Dans Una pequeña fiesta llamada eternidad, le deuil de la mort du père et la maladie de la mère s’entrelacent et se ponctuent de réflexions sur le lignage, le racisme, la colonialité de la vie quotidienne. « J’ai hérité la peine des vaincus », écrit-elle. Mais cette peine se transforme, devient récit, muscle, amour. « N’est-ce pas tout aussi merveilleux de perdre la guerre ? ». Son écriture est profondément ancrée dans le corps, même lorsqu’elle prend une tournure philosophique.
Dans Ejercicios para el endurecimiento del espíritu, le titre annonce méthode et ironie. On n’y trouve pas de réelle dureté, mais bien une volonté de se maintenir entre tendresse et furie. « Si je cesse de faire de la poésie / je deviens l’ennemi », écrit-elle. Écrire s’avère alors une façon de ne pas se trahir.
Certains de ses poèmes ont été publiés en français. Traduire Wiener ne consiste pas seulement à transposer des mots, mais également à incarner son rythme, son ton aux aveux subversifs, son humeur mélancolique. L’enjeu est double : conserver l’oralité hybride (entre Lima et Madrid) et la charge affective de chaque vers. Même ainsi, sa poétique peut survivre au changement de langue.
Depuis une position de dissidence affirmée, Wiener s’écarte du sentimentalisme, elle est crûment honnête, précise et tendre. Ses vers ne cherchent pas le réconfort, mais bien un léger embarras. La lire, c’est pénétrer dans un volcan où sa langue incandescente s’exprime sans retenue et nomme avec liberté ce qui blesse, montre ce qui consume et ce qui compte.
Traduction Horacio Maez
1 NDLR : « Sudaca » est un terme qui nomme de manière péjorative les habitants ou migrants issus d’Amérique latine et peut se traduire en français par « hispano ». Toutefois, l’auteure a choisi de l’écrire avec un « k », d’où son maintien en italique dans le texte.