Être remarqué par le jury du prix Pulitzer du roman pour son deuxième roman, voici qui vous pose un écrivain. Hernán Díaz, Argentin de naissance, nous offre une plongée, écrite en anglais, dans l’effervescence de Wall Street au début du XXe siècle. Dans un style qui s’apparente à ceux des auteurs de cette époque (nous pensons plus particulièrement à Sinclair, Dos Passos ou encore Fitzgerald) mais dans lequel se fond une modernité dans la structure formelle.
Ajoutons une analyse fine des liens intimes qui unissaient alors les États-Unis et l’Europe. Une Europe attirée par la promesse de richesse de ce nouveau monde et qui tente de sauver les États-Unis de ses démons qui provoqueront le krach de 1929, alors qu’elle-même s’apprête à se détruire dans une nouvelle guerre. Mais là aussi, la confiance est rompue.
Au travers d’un portrait éclaté d’un « Citizen Kane » de la finance, on se laisse emporter par le récit. Mais le plus intéressant et aussi le vrai sujet de ce livre est sans doute le portrait en creux de sa femme, Mildred. Palimpseste complexe de ces bouts de vies qui demeurent. De la mémoire qu’on veut laisser. Pour corriger une vérité, se recréer des souvenirs et conserver la trace de cette écume superbe qui fut et dont il ne reste trace.
Le livre s’articule autour de quatre parties dans lesquelles s’entremêlent les vérités et les faux-semblants : une biographie non officielle ; une autobiographie remplie de trous à compléter qui révèle la difficulté de se révéler, de laisser une belle image de soi pour soi-même ; un récit personnel, vaine tentative de vie romancée adaptée pour réécrire une vie superficielle et corriger ce qui ne plaît pas et, enfin, un journal intime, récit brut sans dissimulation. Un texte avec les doutes et jugements de ceux qui savent qu’ils s’en vont. La poésie des choses qui nous reste, avec la mort comme seule certitude et cette vie floue, nébuleuse, que nous essayons vainement de comprendre.
Où se trouve la vérité, si tant est que celle-ci existe puisque nous avons affaire ici à des êtres humains. Dans la partie de Mildred, cette phrase cruelle, sans doute une des clefs du roman : « Je suis lasse de la personne que je deviens à son contact ».
Comme le souligne Karl Marx, le capitalisme repose sur la confiance, brique essentielle du système. Mais comment faire lorsque cette confiance est bafouée, foulée aux pieds par tout un chacun ? Alors c’est l’effondrement : système, valeurs, êtres humains.

Trust de Hernán Díaz
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Nicolas Richard
Points, 2022, 456 p. [Trust, Riverhead Books, 2022.]

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