Le Ghetto intérieur de Santiago H. Amigorena pourrait passer pour un roman anachronique. Son axe est le thème de l’identité. Mais une identité conflictuelle, insaisissable, une identité sans territoire, sans langue et même sans culture. Vicente Rosenberg, le héros de cette histoire, a laissé derrière lui la Pologne, le yiddish et les coutumes juives, pour tenter de devenir argentin. Son identité nomade, fragmentée, émigrée, sera l’une des blessures de ce personnage qui assiste de loin au ghetto de Varsovie ; un personnage qui commence à se demander qui il est, le Polonais qui s’est battu pour son pays dans les années 1920, l’Argentin qu’il est devenu, ou le Juif déraciné qui craint la mort des siens, victimes de l’extermination nazie.
Le problème identitaire devient plus prégnant lorsque le lien qui l’unit à sa mère et à son frère se teinte de culpabilité : Vicente a voulu et n’a pas voulu les aider à quitter le Vieux Continent et maintenant qu’il est trop tard, que sa mère et son frère sont enfermés dans les murs construits par les nazis, Vicente ne trouve plus dans le sentiment de culpabilité qu’un moyen de s’en sortir.
La culpabilité est l’autre grand thème, abordé sous l’angle de la dépression. Vicente, marié à Rosita et père de trois enfants, sombre peu à peu dans le désintérêt et le silence. Le Ghetto intérieur est aussi un roman psychologique : l’histoire d’un homme qui sombre dans le silence, qui rompt le lien avec sa femme et ses trois enfants, qui trouve dans le jeu la seule possibilité de se sentir proche de sa mère et de son frère, de se distraire de la culpabilité qui le détruit.
Raconté depuis un Buenos Aires en plein essor, une ville enrichie par les besoins et les exodes de la guerre, le roman n’offre pas seulement la perspective d’un observateur distant, mais s’ouvre également à d’autres décennies du vingtième siècle, rappelant que certains des descendants de Vicente ont quitté le Cône Sud, assiégé par les dictatures et ont dû se réfugier sur le Vieux Continent. Santiago H. Amigorena écrit l’histoire de son grand-père Vicente, d’une génération d’émigrés et, bien sûr, la sienne, celle du retour, celle du passage de l’espagnol au français, celle d’une identité en mouvement menacée par les brutalités du totalitarisme. Le Ghetto intérieur plonge ainsi dans les mirages qui nous divisent aujourd’hui.
Indubitablement, une partie de son parcours s’écrira en espagnol. L’écrivain argentin Martín Caparrós, qui apparaît dans les dernières pages, petit-fils de Vicente Rosenberg, cousin de Santiago, traduit ce roman qui, à sa manière, comme La disparition de Josef Mengele d’Olivier Guez, se révèle être une histoire latino-américaine.
Traduction L’autre Amérique

El gueto interior de Santiago H. Amigorena
Traduit du français par Martín Caparrós
Random House, 2020, 160 p. [Le ghetto intérieur, P.O.L., 2019]

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Le ghetto intérieur de Santiago H. Amigorena #2