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Le protégé de Vargas Llosa

Francisco Izquierdo-Quea 4 semaines ago 7 min read
MVLL

Mario Vargas Llosa - Le Monde Festival, Opéra Garnier (c) Abel Dubus 2018

Voici quelques semaines, Mario Vargas Llosa s’éteignait à Lima. Alors que sortira dans la journée chez Gallimard Je vous dédie mon silence, le dernier livre de l’auteur traduit en français, notre ami Francisco IZQUIERDO-QUEA, péruvien de son état, nous envoie ce texte pour saluer Vargas Llosa.

Pour lire ce texte en espagnol, c’est par ici

Le protégé de Vargas Llosa

— Mais qu’est-ce vous dites ! Non ! Pauvre Carlos Fuentes !

C’est ce que m’a dit Florence Olivier le matin du 7 octobre 2010 lorsque je lui ai annoncé que Vargas Llosa avait remporté le Prix Nobel de Littérature. Je me souviens d’elle non seulement comme ma directrice de thèse à la Sorbonne, une mexicaniste réputée pour ses conclusions et études de haut niveau, mais aussi comme une femme intelligente, mordante et au rire tonitruant. Nous avions une relation amour-haine : des moments de conversations agréables, un café de temps en temps et beaucoup de cigarettes ; et d’autres moments où elle se plaignait de ma désinvolture et de mon accent français devant toute la classe et où je me plaignais aussi de sa désinvolture et de son cours devant toute la classe.

Ce matin froid du 7 octobre 2010, cinq minutes avant le début du Séminaire de Littérature Mexicaine Latino-Américaine, j’ai trouvé Florence Olivier au deuxième étage de la Sorbonne, sortant de son bureau, au milieu des couloirs encombrés de livres, couloirs historiques et sacrés de l’université avec une odeur de bois très ancien et de tabac, impeccables et très lumineux. Là, je l’ai trouvée et je lui ai dit ce que je lui ai dit. Je ne sais pas ce que j’étais censé attendre d’elle. C’était une matinée grise d’hiver et de neige et, par des jours comme ça, il n’y a pas grand-chose à espérer surtout pour un étudiant étranger sans aucune bourse et qui vit à la limite dans une chambre de bonne au centre de Paris. Mais j’étais content et je voulais partager avec elle ce genre de moment unique, celui du Prix Nobel de Littérature à MVLL, un événement qui allait au-delà du Pérou, de l’Amérique Latine et de l’Espagne elle-même. Un événement qui touchait toute la langue espagnole. Peut-être l’ai-je imaginée comme ces rares fois heureuses, comme la jumelle française d’Anjelica Huston, comme sa jumelle maléfique peut-être et derrière son élégance, ses cheveux crépus et ses yeux aqueux, elle lâchait son rire scandaleux, un rire franc et heureux – un rire très latino-américain d’ailleurs. Mais rien de tout cela ne s’est produit et le regret de sa réponse m’accompagne jusqu’à aujourd’hui.

***

Mario Vargas Llosa est mort à Lima et ses restes ont été incinérés. Je pensais à lui depuis quelques années, plus intensément ces derniers mois, en effet j’avais eu l’idée de relire La maison verte et ainsi définir une bonne fois pour toutes laquelle de ses cinq chefs-d’œuvre était la meilleure (La ville et les chiens reste mon numéro un), de relire aussi ses romans mineurs et de lire les essais que je n’avais jamais lus. Rien de tout cela ne s’est produit. Ce qui s’est réellement passé, c’est l’agréable expérience de lecture de Je vous dédie mon silence, une histoire simple, musicale et nostalgique pour le Pérou, et très bien écrite. Dans la section de la dernière page, l’écrivain met fin à son œuvre de fiction et annonce son prochain et dernier livre, un essai sur Sartre.

Je disais que je pensais à Vargas Llosa depuis quelques années. Je l’ai vu dans la série Netflix de Tamara Falcó, apparaissant avec quelques phrases lucides au milieu de la consternation provoquée par les déclarations d’Isabel Preysler et de sa fille. Je l’ai vu à Grenade, dans les paroles de son ami, le critique littéraire Ángel Esteban qui m’a confié avec tristesse que l’écrivain péruvien ne supportait plus l’assaut médiatique de la presse espagnole et qu’il quittait la péninsule. Je l’ai vu dans de nombreux bars de Paris lors de mes conversations avec Abel Dubus, membre de L’autre Amérique, peut-être le meilleur lecteur vargasllosien que j’ai rencontré en France. Je l’ai vu dans ces dernières photos, installé et vivant à Lima, avec sa famille, avec Patricia, ses enfants et petits-enfants. Je l’ai vu sur d’autres photos visitant la ville et les lieux magiques de ses romans : l’Ecole Militaire Leoncio Prado, ce qui restait du bar La Catedral, les rues des anciens bordels de La Victoria. Je l’ai vu de retour à Lima, avec un regard écarquillé, enfantin, fou, et j’ai su par ces images qu’il ne partirait plus.

***

Vargas Llosa a été officiellement recruté par les hautes sphères du Parti Populaire (PP), au début des années 90, lorsqu’il a perdu l’élection présidentielle contre Fujimori et a décidé de s’installer en Espagne. Au cours de ces trente années à Madrid, il a acquis la nationalité, est devenu membre de la Real Academia Española, a été nommé marquis, a quitté Patricia et a entretenu une relation de sept ans avec Isabel Preysler. Aujourd’hui, alors que j’écris ces lignes, un jour de juin 2025, je fais une pause et cherche sur YouTube quelque chose à son sujet. Je trouve une vidéo où il apparaît aux côtés de José María Aznar, c’est une fête, un cocktail du PP parmi d’autres grands personnages, toreros, aristocrates, franquistes et encore plus de gens avec des airs de raffinement. Je vois une autre vidéo où, à travers la presse péruvienne, il demande aux électeurs du second tour présidentiel de 2021 de voter pour Keiko Fujimori. Je vois une autre vidéo dans laquelle il demande aux Chiliens de voter pour José Antonio Kast. Je vois une autre vidéo, définitive, dans laquelle il déclare aux Argentins que Milei est la meilleure option.

***

Lors de vacances à Lima j’ai rencontré Vargas Llosa un soir de février 2009 avec mon ami Aldo Incio à la librairie Crisol de Miraflores. Il m’a signé un exemplaire de La ville et les chiens, nous avons parlé un peu de San Marcos et de Paris, je lui ai dit que j’étais un étudiant de Stéphane Michaud, le spécialiste en féminisme et en études de genre. Son nom est le seul qui apparaît dans la page de remerciements de Le Paradis – un peu plus loin.

— Stéphane est un grand intellectuel, un spécialiste de Flora Tristan, m’a-t-il dit. Transmettez-lui mon bonjour. Dites-lui que nous nous verrons au colloque de novembre à Bordeaux.

Peu après, de retour à Paris, un mercredi de mars, Michaud concluait son séminaire sur la psychanalyse et la poésie. Je me suis approché de lui pour lui raconter ce qui s’était passé quelques semaines auparavant à Lima.

— Oh, Mario, Mario. Quel généreux ! s’exclama-t-il, les paumes croisées sur sa poitrine. Mais vous n’êtes pas brésilien ? Que faisiez-vous au Pérou ?
— Je suis péruvien. Le problème, c’est mon accent. Madame Olivier me le dit toujours.
— Oh, Florence, Florence…

Depuis ce jour, Michaud m’a surnommé « Le protégé de Vargas Llosa ». La première fois qu’on l’entendit dire cela, la moitié de la classe me regarda avec curiosité tandis que l’autre moitié se demandait : Qui est Vargas Llosa ? Ce semestre-là Michaud nous enseignait Freud et les recueils de poésie comme Les planches courbes d’Yves Bonnefoy ou Fragment du cadastre de Michel Deguy. C’était le professeur universitaire de poésie typique, sensible et engagé : quelqu’un qui allait au-delà de l’évident. À chaque fois, à la fin de ses interventions, il demandait notre avis. Quiconque parlait, Michaud finissait toujours par demander au « protégé de Vargas Llosa » de dire quelque chose.

Tous me regardaient en souriant comme ce que je supposais être : l’étudiant péruano-brésilien, celui qui écrit des nouvelles, le cronope bavard irrécupérable qui passe son temps à parler, avec sa cigarette ridicule, de l’amour, du rire, de César Moro, du Marquis de Sade et de Leopold von Sacher-Masoch. Pour Michaud tout comme pour mes camarades de cours, j’étais alors pour eux le Poète mais ce jour-là tout devint différent : j’étais Pichulita Cuéllar. J’étais aussi Lituma, j’étais Zavalita, Julia, Antônio Conselheiro, Urania… Et à ce moment-là, je parlais, j’ai parlé comme jamais je ne l’avais fait auparavant.

Francisco IZQUIERDO-QUEA

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Tags: Francisco Izquierdo-Quea Hommage Mario Vargas Llosa Pérou

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